Je
dois descendre de ma virtuelle locomotive 242 A 1. Panne d’imagination ?
Non,
panne de crédits, Bill Gates à l’origine de ce monde ferroviaire a décidé d’en
suspendre le développement tout en fermant le studio chargé de le faire…
Et
le septième jour Dieu se reposa !
Mon
entourage est unanime : Tu devrais voyager…
Pourquoi
pas, comme aurait dit Jean Baptiste Charcot.
Mais
je n’ai pas l’âme d’un grand explorateur.
Et
« Le seul véritable voyage, le seul bain de Jouvence, ce ne serait pas d’aller vers de nouveaux paysages, mais d’avoir d’autres yeux, de voir l’univers avec les yeux d’un autre, de cent autres, de voir les cent univers que chacun d’eux voit, que chacun d’eux est... ». Bien dit Marcel ( Proust ) !
Un hyperlien me téléporte dans la vallée de l’Ubaye où
l’on peut marcher, grimper, voler, nager, flâner ou ne rien faire… Voici maintenant
les steppes de l’Asie centrale et j’entends « les sons mélancoliques des
chants de l’Orient, (... ) le pas des chevaux et des chameaux qui
s’approchent » (Alexandre Borodine)… Là c’est Pondichéry et au nord Auroville, cité en quête
d’harmonie… Puis je suis en Gaspésie, sur la rive droite du Saint Laurent…
Georgetowm, Paramaribo, Cayenne qui a pour devise : “Le travail procure la
richesse"… Je rêvais d’oasis, de rencontres et de boissons enivrantes…
Montevideo en Uru…
Ici,
pour entrer, les formalités sont relativement simples.
Il
suffit de décliner son identité, un identifiant et un mot de passe font
l’affaire, et d’accepter le règlement intérieur.
Celui-ci,
très long, est rédigé en anglais, aussi je ne comprends pas tout !
« …
Les Autorités peuvent changer le règlement à tout moment, etc… »
Et
c’est à moi de me tenir informé. Autrement dit, nul n’est censé ignorer la loi…
J’accepte…
Quelle
tenue choisir ? Je n’ai aucune information météorologique.
Un
pantalon Devred 100% coton, blanc.
Des
chaussures Merrell (couleur foncée, pour aller plus vite ! OK, elle n’est
pas drôle) à semelle kangourou (pour… OK).
Un
pull marron à col montant zippé, comme on dit à la Redoute.
Et
une casquette noire de chez Adidas.
Fin
de la page publicitaire. Mais aujourd’hui, si on n’est pas sponsorisé…
On
me transfère. Noir et silencieux couloir. Le temps semble s’être arrêté… Enfin,
je suis arrivé !
Suis-je
sur une île déserte ? Non, je suis plutôt au sommet d’une montagne et
au-dessus de la couche nuageuse.
Quelle
heure est-il ? Aube ou crépuscule du soir ?
Les
soleils sont blancs et la lueur atmosphérique d’un rose violacé.
Deux
corbeaux croassent et planent en rond au-dessus de moi.
Adossée
à la pointe rocheuse, il y a une cabane en terre crue. Sur la charpente faite
de rondins repose une grosse toile en partie déchirée. Trois marches encadrées
par deux lampes allumées et je suis devant la porte en bois sculpté. C’est
ouvert ! J’entre.
Une
seule salle éclairée par plusieurs appliques, une armoire, deux niches
aménagées pour recevoir des livres, deux fenêtres, deux volets de toile que
j’ouvre sans attendre. Aussitôt l’air circule à travers la pièce apportant un
parfum de terre de bruyère. Et j’aperçois au loin une passerelle menant à une
petite plate-forme qui semble flotter sur l’éther. Un embarcadère ? Mais
pour quel véhicule ? Ce lieu est-il la base secrète de nouveaux
Argonautes ? Vais-je voir
apparaître, émergeant de l’épaisse vapeur, d’étranges scaphandriers comme dans
un roman de Jules Verne ?
Je
m’approche de l’une des étagères. Un seul vieux livre. Un livre relié dont la
couverture rigide et usée ne porte pas de titre. Je l’ouvre et le feuillette
avec précautions. Seules les premières pages impaires contiennent des symboles,
certains ressemblent aux chiffres romains, et du texte. Un court texte
manuscrit, un poème ou une maxime. Qui a écrit ces quelques lignes ?
Est-ce un prêtre qui a commencé la rédaction d’une bible ou s’agit-il d’un
journal intime rédigé par le locataire de ce lieu ?
L’autre
bibliothèque est beaucoup plus sophistiquée. Chaque étagère est divisée en
rayons d’égale largeur. Je compte : deux fois dix huit logements. La
bibliothèque peut donc recevoir trente six livres ! Mais elle n’en
contient qu’un seul actuellement ! Mon regard se tourne vers l’armoire. En
l’ouvrant je découvre de nombreux vêtements, des chaussures et des chapeaux. Il
y a même des lunettes de soleil ! Celui qui vient ici se change peut-être
avant de repartir vers je ne sais quelle destination.
Je
sors et je marche vers une grosse borne située en contrebas de la cabane. Elle
ressemble à ces boîtes à lettres anglaises de forme cylindrique mais surmontée
d’une sorte de cheminée. Elle est en bois sculpté. Les dessins ressemblent à
ceux des Boni, une communauté africaine déportée sur les côtes guyanaises puis
réfugiée dans la forêt. Leur art, le Tembé, est un langage qui s’exprime à
travers la sculpture, la peinture et la couture. Je pense être devant un
oratoire ou un chorten contenant peut-être les reliques d’un saint ou les
fragments d’un texte sacré. Le motif en partie supérieure représente sans aucun
doute une main droite. Comme un enfant j’y pose la mienne, la gravure
s’illumine et la coiffe de la colonne se soulève laissant apparaître un livre
ouvert, posé à plat. Je le saisis…
J’atterris
sur un sol semi-aride. Je suis à l’intérieur d’un enclos avec dans sa partie
centrale une petite montagne conique. Est-ce un ancien volcan ? En
m’approchant de la clôture faite de fils de fer barbelé, je constate qu’elle
est impossible à franchir. En tout cas à cet endroit. J’essaie d’ouvrir le
portail… sans succès. Tout près, il y a un écriteau que je contourne afin de
lire l’information qu’il pourrait porter. Je découvre à nouveau le dessin de la
main, cette fois-ci représentée sur une grosse toile, un canevas bordé de rouge
et collé sur l’écriteau. J’applique ma main, mais, seul le pouce s’illumine. Le
texte en anglais est en partie illisible. Je parviens à lire « Propriété
privée » et « Défense d’entrer ». Il y a aussi le nom du
propriétaire : « Elias Z… » ( ?) et le nom d’une
entreprise : « DPF » peut-être ? Je prends alors conscience
d’une odeur caractéristique : celle des week-ends chauds et ensoleillés de
la belle saison, celle d’un barbecue ! Habituellement je n’aime pas trop,
mais aujourd’hui elle me rassure. Je scrute l’horizon. Il me semble voir une
petite habitation. Je me dirige en courant vers le campement. Je serpente à
travers les petits buissons secs et les touffes d’herbe rase. Un vent chaud me
caresse le visage. Arrivé à mi-chemin, je distingue mieux l’habitation. C’est
en fait une caravane avec un auvent. Je suis maintenant tout près et je
m’arrête de courir. Je suis légèrement essoufflé. Un homme est assis à l’ombre,
un livre à la main. Il me salue le premier et ne semble pas étonné de ma
présence sur son terrain. Je lui dis bonjour et il me répond, avant même que
j’aie pu poser une question, par une longue phrase en anglais avec un tel
accent que je ne comprends rien. Je me demande s’il ne me prend pas pour
quelqu’un d’autre. Mais comme il a fait tout en parlant quelques gestes, je
pense qu’il me dit d’aller voir de l’autre côté de sa caravane. Me sentant un
peu honteux de ne pas savoir communiquer, je fais un geste discret de la main
pour dire à la fois merci et à bientôt. En me retournant, je vois le foyer éteint,
et au milieu une feuille de papier qui n’a pas brûlé. Curieux je ramasse la
feuille puis je regarde l’homme qui a levé les yeux sur moi et sourit. Je garde
le papier…
Je
suis passé derrière la caravane. Machinalement je me retourne et je découvre un
autre canevas avec le dessin de la main fixé sur la paroi extérieure de la
caravane. Cette fois-ci, le pouce et une partie de la paume s’illuminent !
A quoi peuvent bien servir ces canevas ? La vue d’une éolienne à l’arrêt
me distrait de mes interrogations. Ce n’est pas un modèle habituel, les pales
de l’hélice sont dans un plan horizontal et la conception semble artisanale. Un
bras permet de la mettre en rotation. Mais malgré mes efforts rien ne bouge. Je
renonce. Tout à côté, des garde-corps en planches entourent une large faille.
Je m’approche prudemment. Je vois en face une échelle et un escalier qui
permettent de descendre et d’accéder à des troglodytes. J’observe un moment ce
qui semble être un monte-charges puis l’arbre gigantesque enraciné au fond de
la faille. Je promène mon regard et j’écoute. Pas un mouvement, pas un
bruit : l’endroit semble inhabité. Je décide d’aller voir de plus près…
Je
suis en bas de l’escalier, sur une grande marche, à mi-hauteur de la faille.
Plusieurs petits ponts suspendus permettent d’aller sur l’autre bord.
J’emprunte celui qui est le plus près de moi.
Mais,
arrivé au mitan du tablier en planches, les cordes porteuses se rompent en leur
milieu et… je tombe…