Socialisme et syndicalisme en Allemagne depuis 1875

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L'Internationale - Otto Griebel (1895-1972).
>>> ArticleOtto Griebel : être face et à distance des prolétaires / Jérôme Bazin - Historien.
(La description du tableau est dans la 3ème partie de l'article)

1 - Introduction

Karl Marx (1818-1883) - Théoricien de la révolution
Selon son idéologie il considère que le capitalisme industriel, contrôlé par la bourgeoisie qui détient l’argent et les moyens de production (le capital), est un système d’exploitation du prolétariat (les ouvriers).
Ce système est à peine encadré par un État qui doit être le moins contraignant possible pour ne pas entraver la bonne marche des affaires.
Il estime que la domination de la bourgeoisie s’étend aussi aux croyances religieuses, puisque le christianisme enseigne le bonheur dans l’au-delà, ce qui est un moyen de maintenir l'exploitation du prolétariat.
Dans ce contexte, une société plus juste ne peut émerger que par la révolution, c’est-à-dire le renversement de la bourgeoisie par le prolétariat. Dans un premier temps, les révolutionnaires (prolétaires) doivent obtenir l’abolition de la propriété privée et la collectivisation des moyens de production, c’est à dire une période socialiste qui doit conduire à la mise en place du communisme, un système où la propriété privée sera supprimée, chacun sera rémunéré selon ses besoins et où l’État n’aura plus de raison d’être.
Toutefois, nulle part le dernier stade imaginé par Karl Marx n’est atteint, ce qui fait de l’idéologie communiste une utopie.
En Allemagne c'est le socialisme qui a inspiré les partis politiques et les syndicats quand l’industrie a tenu une place prépondérante dans l’économie.

Socialisme
Le terme naît au début du 19e siècle dans le contexte de la révolution industrielle et de l'urbanisation.
Il désigne les revendications et les idées visant à améliorer le sort des ouvriers et à remplacer le capitalisme par une société plus juste.
La social-démocratie européenne est, à partir des années 1860, influencée par le marxisme et se définit par une alliance avec le syndicalisme.
Divisés en tendances révolutionnaires (transformation radicale de la société par la révolution) et réformistes (transformation de la société par des réformes graduelles et par la voie démocratique), les partis sociaux-démocrates font l'objet d'une scission lors de la Première Guerre mondiale et de la Révolution d'Octobre : tout en continuant de se réclamer du socialisme, des partis utilisent l'appellation de communiste et intègre le Komintern après la création de celui-ci en 1919.
Durant l'entre-deux-guerres avec l'arrivée au pouvoir de partis sociaux-démocrates, le terme de social-démocratie est rattaché à une pratique politique modérée, à la protection sociale et à la recherche d'un consensus politique entre l'État, le patronat et les salariés.
Après la Seconde Guerre mondiale, les partis sociaux-démocrates européens, membres de l'Internationale socialiste, renoncent définitivement aux références marxistes et aux aspirations révolutionnaires.


Des associations se créent pour coordonner le développement du mouvement ouvrier :
Première Internationale (1864-1876)
Cette organisation politique ouvrière connaît un succès rapide, mais après quelques années un débat divise les partisans de Karl Marx et les anarchistes réunis autour de Mikhaïl Bakounine.
Le chancelier Bismarck obtient du Reichstag le vote des lois antisocialistes qui entraînent une désorganisation du parti social-démocrate et des syndicats. La première loi votée le 21 octobre 1878 sera prorogée jusqu'au 30 septembre 1890.
Deuxième Internationale (1889-1916)
S'inscrivant dans la continuité de la 1ère Internationale cette organisation milite, sur les bases du marxisme, pour la lutte des classes et la nécessité de socialiser les moyens de production.
Elle a été reconstituée à l'initiative du SPD (Sozialdemokratische Partei Deutschlands), le parti social-démocrate allemand né en 1875 sous le nom de SAP lors du congrès de Gotha.
En 1891, au congrès d'Erfurt, le Parti social-démocrate adopte un programme nettement marxiste.
Les syndicalistes qui s'inspirent d'un esprit socialiste sont admis.
Mais les anarchistes sont définitivement exclus en 1896.
Troisième Internationale ou Komintern (1919-1943)
À la suite de la Révolution russe, il s'agit de fonder dans chaque pays un parti révolutionnaire de type nouveau, le parti communiste. Les partis adhérents doivent apporter aide et secours à l'URSS.
Internationale Ouvrière Socialiste ou IOS (1923-1940)
L'organisation est rejointe par les partis anciennement affiliés à la Deuxième Internationale mais qui n’avaient pas rejoint le Komintern.
En 1933, lors de l'arrivée d'Adolf Hitler au pouvoir, l'IOS appelle à l’unité des ouvriers allemands pour lutter contre le régime nazi.
À plusieurs reprises l'IOS et le Komintern envisagent de travailler ensemble, mais les différends nés lors des procès de Moscou, des accords de Munich et du déclenchement de la 2ème Guerre mondiale montrent que l'IOS est divisée et impuissante. Elle est officiellement dissoute en 1946.
Internationale socialiste (Fondée en 1951) Après la Seconde Guerre mondiale, le mouvement socialiste international est affaibli et divisé sur l'attitude à avoir envers l'Union soviétique. La reconstruction de l’Internationale des partis socialistes, sociaux-démocrates et travaillistes se fait à travers des conférences internationales.
Et en 1951, le Congrès de Francfort fonde l'Internationale socialiste.
 
Syndicalisme
Le mouvement syndical ouvrier agit dans le domaine économique et social pour défendre les intérêts des travailleurs. Il est, proche ou non de l'esprit socialiste, révolutionnaire ou réformiste.

2 - Socialisme et syndicalisme allemands de 1914 à 1945

La Première Guerre mondiale divise profondément les socialistes et perturbe les pratiques syndicales.
La division entre socialistes et communistes perdure sous la République de Weimar (1919 – 1933).
L’arrivée des nazis au pouvoir en 1933 entraîne l’interdiction des partis et des syndicats.


SPD (Parti social-démocrate allemand) et évolution du syndicalisme entre 1914 et 1918 :
- L’entrée en guerre de l’Empire allemand en août 1914, contre la Russie et la France est un échec pour les socialistes allemands : le nationalisme a vaincu l’internationalisme.
Malgré leurs divisions les députés du SPD votent les crédits militaires.
En 1916, Karl Liebknecht rassemble ses partisans dans un groupe minoritaire au sein du SPD, la Ligue spartakiste qui se prononce pour la paix.
En avril 1917, des exclus du SPD fondent l'USPD (SPD Indépendant).
En décembre 1918, les IKD (Communistes Internationaux d'Allemagne) fusionnent avec la Ligue spartakiste et fondent le Parti communiste d'Allemagne (KPD).
À la fin de la guerre, le SPD a éclaté en trois partis distincts, le SPD, l’USPD et le KPD.

- Les syndicats se sont associés à l’effort de guerre. Ils ont participé aux organisations de secours aux blessés et aux comités chargés du ravitaillement. Ils ont accepté la loi sur le service auxiliaire de guerre obligeant tous les hommes de 17 à 60 ans à travailler qu’ils soient mobilisables ou non.

Division de la gauche allemande après 1918 :
- Le SPD et le KPD s’affrontent jusqu’en 1933.
En septembre 1918, le SPD accède au pouvoir et doit gérer la défaite militaire.
Révolution allemande de novembre 1918 à janvier 1919
Des conseils d’ouvriers et de soldats se multiplient. Les dirigeants allemands s’inquiètent de cette révolte où les révolutionnaires y sont pourtant minoritaires.
En janvier 1919, avec l'aide des corps francs (anciens militaires ayant participé à la Première Guerre mondiale qui possèdent toujours leurs armes), le gouvernement du chancelier Friedrich Ebert écrase la révolte des ouvriers sociaux-démocrates au cours de laquelle Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht sont assassinés.
République de Weimar (février 1919-janvier 1933)
L'Empire allemand prend fin le 9 novembre 1918 , par l'abdication de l'empereur Guillaume II.
En août 1919 une nouvelle Constitution fait de l'Allemagne un État fédéral composé de 17 États.
Le SPD ancré dans le monde ouvrier reste la première force politique mais en collaborant avec les partis modérés, il est devenu un parti bourgeois. Il entend donner la priorité à la voie électorale et parlementaire plutôt qu’au processus révolutionnaire pour changer la société.
Le KPD au contraire prend pour modèle le parti bolchevik russe, adopte une organisation centralisée et s'oppose à la République de Weimar.
Selon le Komintern, le mouvement ouvrier international ne peut avoir qu’un chef de file, le Parti communiste soviétique.
Quant à l’USPD, ses membres rejoignent le SPD ou le KPD.


- Les syndicats sont plus proches du SPD que du KPD.
Le syndicalisme ouvrier allemand a choisi la modération contre l’extrême-gauche révolutionnaire.
En 1919, il se réorganise en devenant l’ADGB (Confédération Générale Syndicale Allemande).
En 1925, l'ADGB renonce officiellement à la lutte des classes et à la dictature du prolétariat.
L'ADGB est jusqu’en 1933, l'organisation syndicale la plus puissante d’Europe.

La montée du nazisme
La division de la gauche favorise l’arrivée des Nazis au pouvoir qui suppriment les partis et les syndicats.
La Grande Dépression des années 1930 provoque un effondrement de la production et une flambée du chômage. En Allemagne, le taux de chômage atteint plus de 25 % de la population active en 1932, alimentant désillusion, colère de la population et brutalisation de la vie politique. C'est notamment en promettant de juguler la crise qu'Adolf Hitler parvient au pouvoir le 30 janvier 1933. L’interdiction du parti communiste lui permet d’atteindre la majorité des deux-tiers du Reichstag nécessaire à l’obtention des pleins-pouvoirs.
Fondé en 1920, le NSDAP (Parti nazi) devient la seule force politique autorisée dans le Troisième Reich entre juillet 1933 et la fin de la Seconde Guerre mondiale en mai 1945.
Des milliers militants et la plupart des cadres des partis de gauche sont arrêtés et internés dans des camps de concentration.
D’autres parviendront à gagner l’étranger pour reconstituer des partis en exil. D’autres enfin s’engageront dans la clandestinité pour résister au régime nazi.

3 - De 1945 à nos jours, renaissance et mutations du socialisme et du syndicalisme allemands

La guerre froide s'installe à partir de la fin de la Seconde Guerre mondiale et dure jusqu'à la chute des régimes communistes en Europe en 1989 suivie de la dislocation de l'URSS en 1991.
Les partis et les syndicats renaissent en Allemagne. Ils vont connaître des mutations idéologiques à la fin des années 1950 (abandon du marxisme), et à la fin des années 1990 (mondialisation).

Renaissance
Après la défaite de 1945, l'Allemagne est partagée entre l’influence soviétique et l’influence américaine
Le blocus de Berlin accélère la partition de l’Allemagne.
Le SPD, qui refuse d’abandonner le marxisme, reste le seul parti de gauche en Allemagne de l’Ouest (RFA) face à la majorité démocrate-chrétienne au pouvoir, la CDU. Le KPD se retrouve marginalisé et en 1956, il est déclaré inconstitutionnel (L’interdiction sera levée en 1968).
En Allemagne de l'Est (RDA), le SPD fusionne avec le KPD pour former le SED (Sozialistische Einheitspartei Deutschlands). Le SED est aligné sur le modèle soviétique, il est le parti unique de la RDA à partir de 1949.
Les syndicats (L'ADGB devient le DGB) se prononcent pour la cogestion, c’est-à-dire la participation à la direction des entreprises avec le patronat.

Mutations
Au congrès de Bad Godesberg, en 1959, le SPD abandonne les idées d'inspiration marxiste. Il reconnaît l'économie de marché et adhère aux valeurs chrétiennes, humanistes et à la philosophie classique.
En 1966, l’essor d’un parti néonazi révèle une nouvelle menace d’extrême droite et convainc le SPD de rentrer dans une grande coalition gouvernementale aux côtés de la CDU et des libéraux.
Au sein du SPD, les jeunesses socialistes (SDS), hostiles au tournant de 1959 et plus encore à la grande coalition de 1966 réclament un nouveau programme nettement plus à gauche.
Cette opposition culmine en avril 1968 dans un vaste mouvement de contestation étudiante qui dégénère en émeutes urbaines spectaculaires, violemment réprimées par les forces de l’ordre. Il faut placer ce mouvement dans le contexte général des événements de l’année 1968 dans le monde, qui exprimaient un rejet plus global de la société de consommation capitaliste et de l’impérialiste américain sur fond de Guerre du Viêt-Nam.
En 1969, le socialiste Willy Brandt devient chancelier. mais le SPD ne réalise pas toutes les promesses sociales attendues notamment en matière de cogestion. Par contre en politique extérieure, il lance l’Ostpolitik, dont le but est de normaliser les relations entre les deux Allemagne pour réduire la tension et augmenter les échanges entre les deux pays.
On doit aussi à W. Brandt la première manifestation officielle et internationale de la reconnaissance de la responsabilité allemande dans le génocide des juifs.
En 1974, Helmut Schmidt succède à W. Brandt, les socialistes restent au pouvoir avec leurs alliés libéraux jusqu'en 1982.

Les syndicats visent des aménagements limités : réforme fiscale plus égalitaire, planification indicative (= aucune mesure obligatoire pour les entreprises), réduction du temps de travail, augmentation des salaires. Son objectif majeur reste la cogestion.
L’arrivée du SPD au pouvoir en 1969 laissait espérer de voir satisfaire cette revendication. Ce ne fut pas le cas et le début des années 1970 est donc marqué en Allemagne par une reprise de la mobilisation syndicale.

Nouvelles mutations
À la fin des années 1990, après 16 années dans l’opposition, le SPD, qui a choisi Gerhard Schröder comme candidat au poste de chancelier, connaît une nouvelle transformation qu’on peut qualifier de social-libérale. Le SPD, artisan majeur du progrès social en Allemagne depuis la fin du 19e siècle, inverse ce processus en recherchant l’efficacité économique et en limitant l’État-providence pour s’adapter à la globalisation des marchés.
En 2005, le SPD rejoint une nouvelle coalition avec la CDU d’Angela Merkel jusqu’en 2009. Cette nouvelle expérience de collaboration gauche/droite qui confirme l’orientation libérale du parti, le conduit à un échec électoral. Le SPD se retrouve dans la situation de 1920 lorsque l’USPD lui avait ravi la moitié de son électorat.
La réunification avait entre-temps ramené le communisme (le SED est rebaptisé PDS) dans le jeu parlementaire allemand et un nouveau parti était venu compliquer le jeu à gauche, les Verts.

Conclusion
Ces évolutions produisent une nouvelle recomposition de la gauche politique et syndicale allemande qui finalement ne profite guère aux socialistes ni aux syndicats du DGB.
Les bons résultats économiques de l’Allemagne, sont obtenus au prix d’une révision drastique des acquis sociaux : stagnation des salaires, précarisation de l’emploi, réduction de la couverture sociale. Tout cela finit par peser sur les effectifs des syndicats qui étaient traditionnellement les gardiens du bien-être social allemand mais qui n’ont pu empêcher ces évolutions.

Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht.
>>> La révolte spartakiste de Berlin.