L’image ci-dessus est une illustration extraite du livre L’Alsace
heureuse (1919)
de Jean-Jacques Waltz, pseudonyme Hansi (1873-1951).
de Jean-Jacques Waltz, pseudonyme Hansi (1873-1951).
Aujourd’hui, en compagnie du professeur Lazare Sainéan nous allons parler du mot Boche.
Le texte ci-dessous est extrait de : L’argot des tranchées d’après les lettres de Poilus et les journaux du Front (Paris, Boccard, 1915) par Lazare Sainéan, philologue et linguiste (1859-1934).
Cette appellation, naguère réservée aux classes
professionnelles, est devenue courante. Les atrocités de la guerre ont projeté
sur ce nom comme une lueur sinistre. De sobriquet simplement ironique qu’il
était avant la guerre, il est devenu un stigmate, un nom monstrueux qui
rappelle le Gog et le Magog de l’Apocalypse. La langue en gardera un souvenir
ineffaçable.
Remarque curieuse : le vocable n’avait, au début, rien
de commun avec les Allemands, quand il fit son apparition vers 1860 !
C’était alors un parisianisme au sens de mauvais sujet, « dans l’argot des
petites dames », ajoute Delvau en 1866. Le mot représentait une
abréviation parisienne de caboche, tête dure, comme le montre bochon,
coup, pour cabochon, même sens.
Pendant la guerre de 1870, Boche était encore
inconnu. Les Allemands portaient exclusivement la qualification de Prussiens,
nom qu’on rencontre à chaque page du Père Duchêne de l’époque, pâle
imitation du fameux pamphlet d’Hébert : « Pas un de ces jean-foutre
ne sait comment on fout une balle dans le ventre d’un Prussien », lit-on
dans le n° 3 de janvier 1871.
Ce n’est qu’après la guerre de 1871 qu’on appliqua
particulièrement aux Allemands cette épithète de Boche, c'est-à-dire de
« tête dure ». On en est redevable à un trait de psychologie
populaire que résume l’expression tête carrée d’Allemand, laquelle
devint alors synonyme de tête de Boche, c'est-à-dire tête d’Allemand, à
cause (prétend-on) de leur compréhension lente et difficile.
Cette spécialisation se produisit dans les milieux professionnels
où l’on avait recours à la main d’œuvre allemande. En voici un témoignage
technique : « Tête de Boche. Ce terme est spécialement appliqué… aux
Allemands, parce qu’ils comprennent assez difficilement, dit-on, les
explications des metteurs en pages » Eugène Boutmy, La langue verte
typographique, Paris, 1874.
Cette identification ethnique une fois accomplie,
l’expression fit son chemin avec cette nouvelle acceptation. On la rencontre
dans le milieu des casernes : « C’est-y que tu me prends pour un
menteur ? Quiens, preuve que la v’la ta permission… Sais-tu lire, sacrée tête
de Boche ? » Courteline, Le train de 8h47.
Et dans une chanson de Bruant :
Pst !… viens ici, viens que j’t’accroche,
Vlà l’omnibus, faut démarrer !
Ruhau !… recul’ donc, hé ! têt’ de Boche !
( La Rue)
De là Boche, allemand, dernier résidu de tête de
Boche : « I vient de décider que les Boches fêteraient pus
que deux fois l’anniversaire de Sedan », Léon de Bercy, Lettres
argotiques, XXV° lettre, dans la Lanterne de Bruant, 1896, n° 65.
Maintenant
ce sobriquet est devenu l’appellatif ethnique général aussi bien dans les
tranchées que dans la presse, où on l’a gratifié de toute une postérité : bochiser,
germaniser ; Bochonnie, Allemagne ; bochonnerie,
vilenie de Boche, etc.Sources et ressources :
Sur ce blog :
Parlez-vous français ? Leçon n° 2 - Courte histoire de la langue française.
Parlez-vous français ? Leçon n° 3 - Le mot "Kakemphaton".
Parlez-vous français ? Leçon n° 4 - Le mot "Alexipharmaque".
Parlez-vous français ? Leçon n° 5 - Le mot "Sérendipité".
Parlez-vous français ? Leçon n° 6 - Le mot "Bobard".
Avec un Z comme... - L'ordre analphabétique.
Le Petit Brigitte - Abécédaire de mots ardus.
Ailleurs sur Internet :
L'ARGOT DES TRANCHÉE sur Gallica.